Cinq villes suivi des Hommes de lumière par Elias Thuloup

Cinq villes suivi des Hommes de lumière, Elias Thuloup

Cinq villes
suivi des Hommes de lumière

Préfacée par le romancier François Momal, cette édition électronique originale compile un ensemble de nouvelles dont certaines ont déjà été publiées par la Revue de la rue Saint Ambroise.

En cinq brèves nouvelles (« Durbar Square », « Tingis », « Crescent City », « Edo » et « Viliolcors »), l’écrivain voyageur Elias Thuloup, dresse un portrait vivant et saisissant de cinq villes imaginaires mais qui sont inspirées de villes bien réelles.

La sixième nouvelle, « Les Hommes de lumière », se distingue des autres en ce sens qu’elle ne s’incarne pas dans un décor particulier. Mais on y retrouve le style évocateur, certains diraient « immersif » d’Elias Thuloup.

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Les yeux mi-clos, il gagna le balcon, saisit les frais barreaux, y appuya sa tête d’enfant pour observer la ville. Une brume venue de l’océan occupait les bas-quartiers, comblait les vides, dessinait les contours d’îles colorées sur lesquelles flottait le chant des minarets. C’était là sa ville rêvée. Calme, douce et pieuse. Si peu semblable à elle-même.

Point de convergence obligé des touristes, le square était une source de revenu facile pour la ville qui avait rendu son accès payant pour les étrangers. Elle affectait une poignée d’agents (et presque autant d’uniformes) à la perception du droit de passage. Debout derrière de petits guichets ambulants qu’ils déplaçaient opportunément selon le flux des visiteurs, ces contrôleurs traquaient le touriste, en jouant de leurs sifflets et de leurs épaulettes.

Cinq villes suivi des Hommes de lumière, préface de François Momal

Enfant, puis adolescent et enfin jeune homme j’ai vécu dans de grandes villes étrangères, notamment arabes (Le Caire) et nord-américaines (Austin, Texas). Je suis fondamentalement un urbain, qui très jeune a été confronté à l’étrangeté du monde de la grande ville. Les nouvelles d’Élias Thuloup parlent de villes et du regard porté par un enfant, un adolescent ou jeune adulte sur ces décors urbains. C’est pourquoi ces « 5 villes » rejoignent le « choc du réel » que j’ai éprouvé enfant et qui me tient particulièrement à cœur.

« On est très exactement n’importe où » dit à un moment Bessie dans Crescent City. Oui vrai pour les villes nord-américaines ! On pourrait décaler le temps et l’espace et cela ne changerait pas grand-chose. Le rapport au temps et à l’espace qu’ont les Américains m’a toujours fasciné. Un temps plat qui s’étire dans toutes les directions et de l’espace donné à profusion. J’ai pu passer des heures au bord de piscines de motel et rien de ressemble plus à une soirée au bord d’une piscine de motel qu’une autre soirée passée au bord d’une autre piscine d’un autre motel. Élias Thuloup sait nous faire partager cette caractéristique du continent nord-américain. Un continent à part. Un décor à la Quentin Tarantino ?

Des images de Téhéran (qui n’est pas une ville arabe mais persane), où j’ai vécu, sont aussi remontées à la surface de ma conscience. Ville tentaculaire (un peu à la L.A.) qui s’étire au pied d’une montagne. L’écho des aboiements des chiens le soir dans le quartier résidentiel où mes parents et moi résidions. L’arrière-pays innommable mais bien réel de toute mégapole.

Nouvelles visuelles (presque cinématographiques) et ce n’est pas pour rien qu’Elias Thuloup est aussi un photographe talentueux. L’écriture et la photographie : deux moyens complémentaires pour retranscrire l’étrangeté du réel ? Une écriture du regard ? En lisant Viliolicors j’ai fait travailler mon imagination pour reconstituer les décors (comme tout lecteur). Ah l’immeuble blanc « paquebot » et sa fenêtre de cuisine hublot avec la voie ferrée en contrebas ! J’ai pensé à une bande dessinée de Tardi ou à un film de Jean-Pierre Jeunet. Il n’est pas donné à tout le monde de plonger son lecteur dans une ambiance précise et Elias Thuloup sait le faire. Avec Edo j’étais dans un manga de Jirô Taniguchi (Quartier Lointain ou L’homme qui marche qui restent pour moi des chef-d ’œuvres).

Dans Tingis j’ai reconnu Tanger mais peu importe finalement ! On met des noms sur les villes ou les choses pour se rassurer (comme Roquentin parle de « la racine du marronnier » dans La Nausée) mais Élias Thuloup, en rebaptisant ses villes réelles ou imaginaires, est là pour tirer le tapis sous nos pieds. Oublions les noms et les mots trop vite plaqués sur les choses qui nous entourent et goutons à la description du réel vu par un enfant qui est toujours le meilleur témoin du merveilleux et de l’étrange.

Merci Élias pour cette expérience immersive.